Anne-Laure WUILLAI

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Derrière la mer, exposition en duo avec Benoît Barbagli

Par Susie et Michel Remy, Galerie de Beuil

 

" Anne-Laure Wuillai, ou l'image de l'idée d'une idée "

Extrait de conférence, 2017

 

 

         L’art conceptuel manifeste un renoncement à l’objet en tant qu’œuvre durable, permanente, intangible et sacrée, pour replacer la proposition artistique au niveau de l’information, matérialisant ainsi un concept. Il signale quelque chose d’autre, qui peut être lointain, proche, imaginaire, éphémère ou même virtuel.

Anne-Laure Wuillai a bien compris ce travail qui est au cœur de l’art depuis le début du vingtième siècle et elle en est l’une des jeunes et brillantes représentantes.

 

       La présentation simple d’un calendrier agenda, sur support en bois,  dont on tourne les pages que l’on peut arracher s’ouvre à la notation de rendez-vous, d’horaires à respecter, de résumés de projets, mais aussi à l’échec de ces projets et de ces rendez-vous, pages blanches à remplir et à raturer – illusions de nos vies, espoirs déçus ou réalisés.

Éphéméride (titre de cet objet d’Anne-Laure Wuillai) est donc la concrétisation de l’idée, de ce qui compose nos vies dans leur soumission à la société et du temps duquel elles dépendent.

 

           Ou bien cet Agenda / Partition : ce même éphéméride de bureau, où chaque page correspond à un jour, mais sur chaque page, une partition de musique est à remplir … Lutte profonde et violente, mais sourde (!) entre l’éphémérité de l’agenda (qui ne dure pas plus de 365 jours) et la musique, qui s’inscrira surs ses pages en échappant au temps.

 

         Ou bien cette autre pièce, ce Bagage à main, boîte en contreplaqué de la taille exacte d’un bagage de cabine, conforme aux directives applicables à tous, de taille maximale à laquelle nous sommes tous désormais soumis.

Si nous y dérogeons, ce sera la soute et une peine financière que nous ne pourrons qu’accepter. D’où son angularité, à l’image de l’obéissance à laquelle nous sommes réduits.

 

            Plus fort encore, cette  admirable composition de cinq cubes de verre contenant un litre d’eau collectée sur les cinq continents.

Accompagnés de tous les documents de transports et formulaires douaniers et postaux décrivant le contenu, la valeur, le poids, … ils télescopent les idées du proche et du lointain, des tensions entre la nature sauvage et  la culture administrative, « pliant, comme le dit Anne-Laure Wuillai, les océans au format colissimo ».

Elle ajoute également un défi aux limites spatiales et temporelles : «  La mer fera le tour de la Terre par le ciel ». Le réel se plie à l’imagination…

Le titre ? Space Oddity


       On pourrait multiplier les exemples de ces évidences de la réalité auxquelles Anne-Laure Wuillai donne un sens plein, presque poétique, accusant les limites formelles et culturelles. Que ces évidences s’imposent petit à petit, sans que l’on s’en aperçoive.

L’action esthétique rejoint ici l’action existentielle. Anne-Laure Wuillai ne fait pas acte de protestation révolutionnaire mais en quelque sorte de didactique. Car si l’on reconnaît ce qu’elle dénonce,  si l’on y est sensible, cela voudra dire que nous y avons participé par une sorte de communication avec elle, que nous en avons vu, je dis bien vu, l’idée.

Le banal et le symbolique, le concret et l’abstrait, le sensible et le rationnel fusionnent sans qu’on puisse vraiment les distinguer,  au grand dam de ce confortable dualisme qui aime tant jouer avec les différences…

 

               Anne-Laure Wuillai a transformé son idée en fait artistique et nous, spectateurs, avons transformé le fait artistique en idée. Geste peut-être dérisoire, mais geste qui aura revitalisé notre pensée dans un monde du nivellement de la pensée.

 

 

Michel Remy